La chronobiologie a déjà toutes les réponses (comment te synchroniser avec ta biologie)
En 1962, Michel Siffre descend seul dans une grotte du sud de la France. Il y restera deux mois, sans montre, sans lumière naturelle, sans aucun repère temporel.
Il veut étudier le fonctionnement de son horloge biologique, isolée de tout stimulus extérieur. Très vite, ses cycles de sommeil se décalent. Son rythme se dérègle. Il découvre que sans synchronisation avec l’environnement, notre temps interne suit sa propre logique.
Mais cette intuition n’est pas nouvelle. En 1938, Nathaniel Kleitman et son collègue Bruce Richardson avaient déjà passé 32 jours dans la grotte de Mammoth Cave, dans le Kentucky, pour observer les effets d’un environnement sans Zeitgebers (="donneur de temps").
Depuis, les chercheurs, le développement des recherches en chronobiologie ont bien avancé, en démontrant l'une des trouvailles principales : nous sommes cycliques, réglés par toute une partition d’horloges biologiques (et qu’on passe notre vie à désaccorder).
L’organisation standard ignore un paramètre fondamental : ton biorythme
Pendant que des chercheurs exploraient les profondeurs des grottes pour comprendre nos rythmes, à la surface, on construisait un autre modèle : l’agenda "optimisé" pour tout faire.
On a appris à remplir nos journées comme on joue à Tetris : caser le plus de choses possible dans les cases disponibles. Réunions, deep work, sport, mails, contenu à lire, les 45 tâches quotidiennes… Tout doit rentrer. Et si ça déborde, pas grave. On pousse un peu, on rogne sur la pause de midi, on va se coucher 1h plus tard, on cale "juste un truc" de plus avant de fermer l’ordi.
Mais dans ce modèle, il manque une dimension : le moment. Pas le moment libre dans ton agenda, mais le moment juste pour ton cerveau, ton énergie, ta clarté.
On pense “quoi faire” et “combien de temps ça va prendre”. C'est important de savoir bien prioriser, mais ça ne s'arrête malheureusement pas là.
On oublie quand le faire. Et ce “quand” change tout.
Un même travail de fond à 10h ou à 16h ne produit pas la même qualité. Une séance de sport selon l’heure de la journée ne déclenche pas les mêmes effets. Une prise de décision importante à 14h, en plein creux cognitif, n’a pas la même lucidité qu’à 9h.
Chacun a son chronotype. Chacun a sa propre courbe d'énergie. Et chacun s'en sortirait mieux en la suivant naturellement. Le quand est un levier de performance aussi important que le quoi, et il est bien plus souvent négligé.
(Pour ceux qui veulent aller creuser le meilleur moment pour chaque chose, une bonne introduction est The Power Of When de Michael Breus, livre très "pratico pratique")
Le truc, c'est qu'on s'épuise souvent, alors qu’on aurait juste dû déplacer la tâche au bon moment.
Comprendre les 3 grands rythmes biologiques
La chronobiologie, c’est l’étude des rythmes internes du corps. Pas juste le sommeil, mais tout : attention, humeur, force physique, mémorisation, digestion,...
D'une manière synthétique, voilà les 3 horloges principales à l’œuvre :
- Les rythmes ultradiens (< 24h)
Tous les rythmes plus courts que 24h. Le plus évident, c’est celui qu’on traverse en dormant : les cycles de 90 minutes pendant lesquels on passe du sommeil léger au sommeil profond, puis au sommeil paradoxal. Et ces cycles-là ne s’arrêtent pas au réveil.
Mais la journée aussi, on fonctionne en vagues.
Par exemple, toutes les 90 minutes environ, on passe d’un pic de concentration à une phase de creux. Ce phénomène est connu sous le nom de BRAC (Basic Rest-Activity Cycle, concept proposé par Kleitman évoqué plus haut).
L’idée est simple : on alterne naturellement entre périodes de haute énergie et besoin de récupération.
Tu l’as sûrement déjà ressenti. Tu démarres une session de travail avec clarté, tu avances bien, et au bout d’un moment, ça patine : tu commences à ouvrir des onglets inutiles, tu relis trois fois la même phrase, jusqu'à faire des erreurs.
- Les rythmes infradiens (>24h)
À l’autre extrémité du spectre, il y a les rythmes infradiens (ceux qui durent plus de 24 heures). Ils sont moins étudiés, mais ils influencent pourtant notre énergie, notre humeur, et notre disponibilité mentale.
Tout ne fonctionne pas en rythme journalier. Certains cycles sont plus lents, et c'est tout aussi intéressant de s'y adapter.
2 exemples les plus évidents : les saisons, et le cycle menstruel.
- Le rythme circadien (environ 24h)
Un cycle d’environ 24 heures, programmé dans ton corps, qui régule une infinité de fonctions : sommeil, température corporelle, sécrétion d’hormones, vigilance, digestion…
Tout est régulé par des horloges internes, mais elles sont très sensibles aux signaux extérieurs, les Zeitgebers.
Et parmi eux, la lumière naturelle est sûrement le plus puissant. Ton cerveau se cale en partie sur ce que captent tes yeux. C’est elle qui indique à ton horloge centrale (le noyau suprachiasmatique, histoire d'avoir le terme technique) : “C’est le jour, lève-toi et active-toi.”
Le problème, c’est qu’on a largement perturbé cette boucle.
Lumière artificielle tard le soir, peu d’exposition au soleil le matin, écrans et lumières bleues juste avant de dormir… Du coup, l'horloge interne se décale, l'endormissement se décale, le sommeil est moins bon, et on se crée nous-même notre propre décalage horaire. C’est un dérèglement de ton timing interne, qui impacte tout : énergie, humeur, mémoire, apprentissage, décisions.
Le plus simple et le plus efficace : lumière naturelle dès que possible après le réveil, lumière tamisée une heure avant de dormir.
3 stratégies pour organiser ta vie comme un organisme vivant
Passons à la partie stratégique : comment tu peux jouer avec tes rythmes au lieu de les subir.
- Créer sa carte de pics biologiques
Avant de vouloir optimiser, il faut observer. Pendant une semaine, note :
- Tes heures de réveil et d’endormissement naturelles (sans alarme, si possible)
- Les moments où tu te sens le plus focus, le plus fatigué, le plus créatif
- Les plages où tu te retrouves à procrastiner systématiquement
Tu commenceras à voir apparaître des patterns. Ce sont tes fenêtres de performance. À partir de là, tu peux restructurer. Une fois que tu sais tout ça, c'est juste un jeu d'alignement de tes tâches à haute valeur sur tes créneaux de pic cognitif.
- Se synchroniser avec la lumière
Le plus grand hack de productivité, c’est la lumière.
Ton horloge principale a besoin d’un signal clair pour fonctionner :
→ Lumière naturelle le matin, pour lancer la journée, stimuler le cortisol et activer ton cycle.
→ Moins de lumière artificielle le soir, pour laisser la mélatonine faire son travail.
Le plus facile, c'est :
- exposition à la lumière naturelle dès que possible
- activation des filtres anti-lumière bleue sur tous tes écrans après le coucher du soleil
- Aligner ton système de vie avec les cycles longs
→ Intègre ton rythme infradien dans ton système.
Prends du recul. Repère les cycles qui reviennent chez toi (mensuels, saisonniers, ou autres), et ajuste ton système autour de ces tendances :
- Périodes pour créer en profondeur
- Périodes pour maintenir
- Périodes pour explorer, lire, tester
- Périodes pour ralentir ou s'arrêter
Ton organisation devient plus robuste quand elle est cyclique (le cœur des Saisons Stratégiques).
Pour résumer
Si tu veux un système qui dure, tu dois l’accorder à ton fonctionnement, pas à ton agenda.
- On ne peut pas tricher avec son biorythme : les pics d’attention, la vigilance, le sommeil,… tout suit des cycles qu'on gagnerait à (re)connaître au lieu de subir
- Un système efficace et résilient est un système vivant
- Le "quand" compte autant que le "quoi"
Pour finir de manière philosophique :
"La nature ne se presse jamais, et pourtant tout s’accomplit."
Lao Tseu
Profite bien de ton week-end,
LA