Forcer empire les choses : la loi de l’effort inversé
“Quand vous essayez de rester à la surface de l’eau, vous coulez. Mais quand vous essayez de couler, vous flottez.”
Alan Watts
C'est l'idée générale, mais je vais essayer de faire quand même plus concret et actionnable ici…
L’effet sable mouvant : plus tu luttes, plus tu t’enfonces
Tu t’es sûrement déjà retrouvé dans une de ces situations :
- Plus t'essaies de t’endormir, moins tu y arrives
- Plus tu forces sur un blocage créatif, plus il s'amplifie
- Plus tu cherches à contrôler ton environnement, plus tu deviens anxieux
C’est le paradoxe de l’effort inversé.
Ce moment où plus tu insistes, moins ça marche.
C'est pas de la malchance, ou le karma, mais plutôt une sorte de loi mentale observable dans tous les domaines où la fluidité est clé.
Alan Watts l’explique avec sa métaphore aquatique.
Julia Cameron parle de "capituler" ou "s'abandonner" dans le processus créatif.
Huxley l’applique à la volonté (l'effort conscient et la volonté intense peuvent paradoxalement entraver l'atteinte de nos objectifs).
Les taoïstes, eux, ont un mot pour ça depuis des millénaires : Wu Wei (souvent traduit "non-action", mais l'idée se rapproche bien plus de "action sans effort"), en se laissant porter par le "Tao".
Rien de mystique ici, mais plutôt une stratégie de performance paradoxale : agir en alignement avec le flux naturel des choses, sans forcer ni lutter.
Quand l’effort devient sabotage
Dans nos cultures productivistes, forcer est encore une vertu. Le badge d'honneur du volume horaire arboré fièrement. Ou encore du niveau de stress "prouvant" l'effort investi.
On valorise encore ceux qui poussent et insistent jusqu'à épuisement.
Attention, la persistance est primordiale.
Mais il y a un seuil où l’effort devient contre-productif :
- Tu veux forcer l’inspiration → page blanche
- Tu veux forcer le sommeil → insomnie
- Tu veux forcer la concentration → ton cerveau te lâche, sans énergie
- Tu veux forcer un chiffre d'affaires → tu te sabotes en optimisant avec les mauvais KPI
Dans chaque cas, il y a une tension interne.
Psychologiquement, c’est un conflit entre la volonté (consciente) et l’imagination (inconscient), décrit par Émile Coué :
“Plus vous cherchez à vous convaincre de quelque chose par la volonté, plus l’imagination crée l’inverse.”
Et physiologiquement, c’est une recherche de contrôle permanent, quant c'est le flow qui nous intéresse.
Le bilan de tout ça, c'est qu'on fait plus… pour obtenir moins.
La loi de l’effort inversé : un levier sous-estimé
La loi de l’effort inversé stipule que plus tu essayes de contrôler consciemment un processus qui requiert du lâcher-prise ou de la fluidité, plus tu réduis tes chances de réussite.
Ce principe touche autant :
- La création (inspiration, flow, écriture)
- Que la performance (sommeil, sport, concentration)
- Ou même la stratégie (business, décision, apprentissage)
Et c'est une réalisation importante, parce que dans notre obsession de faire plus, on oublie que certaines activités ne peuvent être forcées. Dans certains cas l’état optimal n’est pas dans la tension qu'on essaie à tout pris de forcer, mais plutôt dans une sorte d’équilibre dynamique.
Et c’est contre-intuitif. Parce que ça signifie souvent qu'il ne s'agit pas de simplement forcer, mais de créer les conditions pour que ça émerge sans tension.
Malheureusement, c'est concrètement plus compliqué à mettre en place.
Avant de regarder comment on peut l'appliquer, on va essayer de décortiquer la loi en composantes clés.
Anatomie de la loi : 4 mécanismes clés
Voici comment on pourrait la décomposer en principes fondamentaux :
1. La règle des 85%
Inspirée des athlètes de haut niveau : lorsque qu'ils tentent de donner 100% de leur intensité, leur corps a tendance à se crisper.
Par exemple, les sprinteurs d'élite suivent la règle des 85% parce que cela maintient leur corps détendu, fluide et sans effort (bon, dans une certaine mesure quand même…). Mais quand ils essaient de courir à 100% d'intensité, leur corps se tend et au final, ils ralentissent.
→ Travailler trop fort = perte de fluidité + crispation = baisse de performance.
2. Le conflit entre conscient et inconscient
C'est ici l'idée d'Émile Coué citée plus haut.
C’est comme appuyer sur le frein et l’accélérateur en même temps.
Quand la volonté veut forcer, mais que l’inconscient n’est pas aligné, ça donne une résistance invisible.
Et en général, c'est l’inconscient qui sort gagnant. Mais dans tous les cas, le problème est que l'énergie est dépensée en tension interne plutôt qu'en action efficace.
3. L’activation du Default Mode Network
Ce réseau du cerveau s’active quand tu ne fais rien de précis. Et pourtant, il est responsable de la plupart des idées créatives et intuitions stratégiques.
C'est ce qui fait qu'on a bien plus de chances d'avoir des idées sous la douche ou en marchant qu'en fixant une page blanches pendant des heures.
Quand l'esprit conscient se relâche, l'inconscient peut travailler plus librement. Mais ça veut dire lui laisser de l'espace.
4. Les rendements décroissants
À partir d'un certain seuil, l'augmentation de l'effort ne se traduit plus par une augmentation proportionnelle des résultats. Au contraire, cette courbe ralentit jusqu'à décroitre (et générer des erreurs par manque d'énergie, stress, surcharge,…).

C'est pour ça qu'il vaut toujours mieux de 3h ou 4h de deep work ciblées et adaptées selon son chronotype, que des journées de 10h remplie de bruit mental.
Ok, c'est parti pour les applications :
Stratégies applicables pour un impact décuplé
1. Suivre le flow plutôt que de le forcer
S’inspirer du concept Wu Wei : agir en collaboration avec le courant naturel, plutôt que de nager à contre-sens. Moins d'effort, mais bien mieux investi :
- Remplacer la rigidité par une organisation flexible et cyclique (comme les Saisons Stratégiques eheh)
- Déterminer ton chronotype, observer tes pics d’énergie, et construire autour d’eux
- Te demander chaque semaine : “Où est-ce que le flow est déjà là ? Quelle est mon inspiration actuelle ? Qu'est ce que j’essaie de contrôler inutilement ?”
C'est valable pour une journée comme pour une année. Et c'est souvent pour ça que les grands plans parfaits long termes échouent. C'est très rare d'être à fond pendant des mois et des mois.
A la place, c'est souvent plus performant d'observer l'inspiration et l'intention actuelle, l'exploiter pleinement pendant une courte période, puis de repasser en mode exploration, maintenance, ou repos. Nourrir le terrain. Laisser germer. Puis repartir.
2. Shifter du résultat vers le processus
Etre obsédé par un résultat = activer l'anxiété du manque. On identifie de plus en plus précisément ce que veut, et surtout l'espace qu'il y a avec ce qu'on a actuellement.
On commence à regarder les mauvais indicateurs, et on se met à optimiser les mauvaises choses, qui nous mettent au final des bâtons dans les roues.
C'est le "profit-seeking paradox". Le principe de John Kay, ayant analysé de nombreuses entreprises et observé que leur succès financier est souvent une conséquence de la poursuite d'autres objectifs (comme la création de valeur pour leurs clients, la résolution de problèmes,…).
Applications :
- Rediriger son attention vers le process, l'input, et ce que tu contrôles (facile à dire, je sais)
- Redéfinir tes objectifs en termes de système : “1h d’écriture par jour” > “10k vues sur LinkedIn”
- Mesurer ta progression par ta cohérence
3. Créer de l’espace pour que ça émerge naturellement
La performance créative ne s’active pas par la volonté, mais par l’ouverture. Et ça demande du vide, de l'espace mental indirect disponible en mode diffus / via le Default Mode Network.
Options :
- Créer des rituels de pause actives (longue marche, musique sans écran, respiration,…)
- Interrompre volontairement un blocage même si c'est contre-intuitif (sortir marcher au lieu de rester fixé sur l’écran)
- Laisser respirer ton agenda (pas de planification à respecter à la minute près, ni 100% du temps alloué)
Ca demande une certaine forme de laisser aller. Face à un blocage d’écriture, c'est accepter de ne pas produire pour partir écouter un podcast, faire du journaling, aller marcher. Mais indirectement, ça représente au final tes meilleures chances de réussite.
Le mini-système du "non-forçage stratégique"
Pour intégrer la loi de l’effort inversé dans la vie de tous les jours :
1. Observer la tension
- Où est-ce que tu forces en ce moment ?
- Quelle tension physique ou mentale ?
- Quel résultat t’obsède ?
2. Identifier le flow naturel
- Quelle est ton inspiration actuelle ?
- Où les choses avancent avec fluidité ?
- Qu’est-ce que tu pourrais suivre au lieu de contrôler ?
3. Revenir au processus
- Quels sont les inputs clés de progression ?
- Comment redéfinir tes objectifs pour te concentrer sur les bonnes choses ?
4. Créer de l’espace intentionnellement
- As tu prévu du temps pour réfléchir et prendre du recul ?
- Quelle plage de vide peux-tu offrir à ton cerveau cette semaine ? (vraiment vide)
Récap : Moins de force, plus de finesse
3 idées à retenir :
- Plus tu forces dans certaines sphères (création, sommeil, stratégie), plus tu bloques
- Fluidité = intention + espace, pas de la tension
- Le flow s’invite quand tu crées les conditions, pas sur commande
“Le processus créatif est un acte d’abandon, pas de contrôle.”
Julia Cameron
Profite bien de ton week-end,
LA