L’empilement stratégique de compétences (ou comment hacker la rareté)

“L’avenir appartient à ceux qui apprennent plus de compétences et les combinent de manière créative.”
Robert Greene

Est ce que tu sais parfaitement quoi faire depuis le début, ou tu n'as pas arrêté de tester des trucs pour trouver enfin ce qui va créer un déclic ?

Le premier est conditionné pour devenir numéro 1. Spécialisation précoce, routine millimétrée, objectif : être le meilleur.

Le second papillonne entre plusieurs disciplines. Il touche à tout, avance à son rythme. Pas de pression, juste de la curiosité.

Des années plus tard, ces deux enfants peuvent s'appeler Tiger Woods, et Roger Federer.

C'est l'exemple qui introduit le livre Range, de David Epstein. 2 trajectoires (et situations initiales) complètement différentes, mais les 2 ont fusées vers l’excellence.

Les 2 ont leur place et leur importance. Mais la où la spécialisation va bien mieux performer dans des environnements simples avec des règles claires, c'est rarement la bonne stratégie dans des environnements plus complexes.

Pourquoi viser le podium peut te freiner

Tu as probablement entendu ça plus d'une fois : “Choisis, et concentre-toi. Sois le meilleur.”

Et si tu es comme moi (et comme beaucoup de lecteurs ici), tu as peut-être essayé… T'es excellent pour partir de zéro et monter en compétence rapidement, mais c'est une autre histoire pour devenir le numéro 1.

Si t'as même fait qu'essayer, c'est souvent par une pression externe. Parce que c'est pas la difficulté de la tâche qui pose problème, mais la sensation que ce n'est pas la bonne décision. Qu'il y a un truc qui cloche, et que ça ne mènera qu'à la frustration.

Une sorte de tension intérieure :

  • Tu as trop d’intérêts pour te contenter d’un seul domaine
  • Tu veux construire quelque chose de grand, mais sans sacrifier ta curiosité
  • Tu es fatigué de recommencer sans avoir l’impression d’avancer dans une direction cohérente

D'un coté du veux suivre ta curiosité, mais de l'autre tu veux devenir (ou apparaitre) compétent et reconnu.

Le piège caché de la spécialisation

Soyons clairs : la spécialisation fonctionne très bien dans certains contextes.

Typiquement, les domaines fermés, où :

  • les règles sont stables
  • les feedbacks immédiats
  • la progression linéaire

Comme les échecs, ou le golf. Les règles sont communes, claires, tu peux obtenir un feedback et des indicateurs de progression rapidement et régulièrement (à chaque coup joué).

Mais dans les domaines ouverts (business, créativité, innovation, entrepreneuriat…), les règles sont floues, changeantes, ou même invisibles.

Et dans ces contextes là, la spécialisation peut devenir un piège :

  • Trop rigide pour s’adapter
  • Trop étroite pour innover
  • Trop exposée à l’automatisation

Le skill stacking, ou l’art de devenir irremplaçable

Scott Adams a été l’un des premiers à formaliser ce concept :

“Tu n’as pas besoin d’être le meilleur dans un domaine. Il suffit d’être bon dans plusieurs, et de les combiner efficacement.”

C’est le principe du skill stacking. Ou, en français (désolé pour les anglicismes récurrents) : l’empilement stratégique de compétences.

Une stratégie aussi simple que puissante, surtout pour ceux qui sont frustrés par la pseudo obligation de devoir se concentrer sur une seule chose indéfiniment.

C’est une philosophie. Une manière de concevoir ta progression comme une construction vivante de singularité.

C'est le “you are the niche.” de Dan Koe.

À l’ère de l’IA et de la saturation informationnelle, ce n’est plus “ton domaine” qui fait la différence. C’est ta combinaison, ton angle, ta voix.

Tu ne trouves pas une niche. Tu la deviens (en construisant un croisement que personne d’autre n’a). Et tu peux faire ça via une stack de compétences, d’expériences, de valeurs, de sensibilités… alignées, et non réplicables.

Dans un sens, c'est la même idée avec la notion de specific knowledge de Naval :

“Specific knowledge is knowledge that you cannot be trained for. If society can train you, it can train someone else and replace you.”

Ce savoir spécifique :

  • provient souvent de ton expérience personnelle (pas d’un diplôme)
  • ne peut pas être standardisé
  • se développe via la curiosité, les side-projects, la passion

Et surtout : il est souvent invisible au premier regard. Il émerge naturellement quand tu empiles des compétences selon ton propre pattern. C’est le produit de ton parcours unique, pas d’un cursus scolaire pur.

Le skill stacking, bien utilisé, devient ton canal d’accès au specific knowledge. Tu construis des ponts là où personne n’en voit.

C'est pas un compromis pour touche-à-tout frustré (même si c'est vrai que c'est pratique, et soyons honnête, ça résout une partie du problème..). C'est une réponse systémique adapté à la réalité du monde et à son évolution :

1. La combinaison crée une rareté que personne ne peut copier

Tu n’es pas exceptionnel dans un silo. Ou en tout cas, par pure et simple définition, très très peu le sont. Par contre, tout le monde est unique dans une certaine intersection.

Autant la concurrence est dangereuse si tu es "expert copywriter", autant les règles du jeu changes si tu combines l'écriture avec une obsession pour la psychologie, une expérience concrète en montage vidéo, et la transmission de principes issues de la culture chinoise dans tes écrits. Pas grand monde sur ce terrain là je pense, et même un niveau moyen dans tous ces domaines est suffisant pour créer quelque chose d'unique.

Plus ta combinaison est personnelle, moins elle est automatisable, industrialisable ou remplaçable.

2. Tu développes un meta-skill : apprendre à apprendre (puis à assembler)

À force de recommencer dans des domaines différents, tu affûtes une compétence transverse : devenir compétent rapidement.

Tu développes :

  • un œil pour repérer l’essentiel
  • des modèles mentaux transférables
  • une capacité à progresser plus rapidement

Et en prime, tu renforces ton beginner mindset : une posture ouverte, flexible, antifragile. C'est ok de tout recommencer, parce que t'as confiance dans ta capacité à monter en compétence (et ça te permet de suivre ta curiosité).

3. Tu bâtis un système vivant, évolutif, aligné

On peut se dire que ça va vite être le bordel. Plein de pseudo compétences, un niveau moyen, de la dispersion. Mais vu autrement, on sort d'une collection chaotique pour construire un écosystème.

  • Tu ne t’éparpilles pas : tu crées des synergies
  • Tu ne réinventes pas la roue : tu relies ce que tu sais déjà
  • Tu ne t’enfermes pas dans une voie : tu progresse en restant antifragile

L'autre bonne nouvelle, c'est que tout ce système reste auditable régulièrement. Vu qu'il n'y a pas de blocage, il évolue avec tes projets, tes saisons, ton énergie du moment. Dès que tu termines un projet, ou que t'en ressens le besoin, tu peux te permettre de repartir à la base (souvent ta Hiérarchie d'Intérêts), et de tout reprioriser pour définir intentionnellement ce sur quoi tu vas te concentrer pour la prochaine période.

Trois leviers pour construire ta propre stack

1. Faire l’inventaire du terrain

Commence par tout ce que tu sais déjà faire, même si tu n'es pas à un niveau “expert”.

Exemples : design, UX, copywriting, recherches, investissement, productivité,…

Ajoute-y :

  • tes hobbies (même oubliés)
  • tes projets passés (même abandonnés)
  • tes compétences souterraines (même invisibles sur le CV)

Avec ça sous les yeux, pas de page blanche. Tu auras déjà un bon terrain fertile à explorer et combiner.

2. Identifier les croisements stratégiques

Cherche où tes compétences synergisent naturellement :

  • Quelle combinaison me permet de faire quelque chose d’unique ?
  • Où est-ce que je peux créer une valeur que peu de gens peuvent créer ?
  • Qu’est-ce qui est difficile à reproduire ?

Pas d'empilement bête et méchant avec "je sais A, je sais B, et je sais C". Mais plutôt "A peut être naturellement corrélé à B, et je peux inclure C pour définir un positionnement que personne n'a tout en me donnant la possibilité de passer tout mon temps sur ce qui m'intéresse".

3. Créer un système d’usage réel

Tu peux être très compétent dans 5 domaines… mais souvent, ça ne suffit pas. Si tu ne les as jamais utilisés ensemble, c’est une boîte à outils incroyable mais jamais ouverte.

Du coup, on peut :

  • Monter un projet qui les utilise
  • Enseigner ou créer autour de ta stack de compétences
  • Réfléchir en système : à quoi ça sert, pour qui, dans quelle dynamique ?

En gros : la confrontation au réel.

Un système simple pour construire cette boite à outils de compétences

Tu peux utiliser cette séquence comme point de départ :

  1. Explorer : Quelles compétences m’attirent naturellement ?
  2. Empiler : Lesquelles j'ai déjà creusées, même légèrement ?
  3. Relier : Comment peuvent-elles se renforcer mutuellement ?
  4. Utiliser : Quel projet ou format me permet de les activer ensemble ?
  5. Évaluer : Qu’est-ce que je peux affiner, abandonner ou ajouter ?

Et surtout, on garde sous le coude la possibilité de reprioriser régulièrement. Pour être ok avec le fait de ne pas tout faire maintenant, et d'arriver à se concentrer temporairement sur une seule chose pour avancer.

Pour résumer

  • La spécialisation n’est pas mauvaise en soi (mais dans un monde ambigu, elle peut être limitante)
  • L’empilement stratégique permet de créer sa propre rareté (à partir de compétences qu'on possède déjà)
  • Synergies > Accumulation

"Jouez à des jeux à long terme avec des personnes à long terme. Apprenez des compétences rares et précieuses. Empilez-les."
Naval

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